Mégalithes, alignements et dolmens

Chronique de GENDRY Mickael, publié sur le site Agence Bretagne Presse, le 30 juillet 2023

(lien : https://abp.bzh/le-chemin-des-morts-et-les-megalithes-nouvelles-conj-58183)

Les mythes se racontent à l’envi. Les signes gravés du menhir de Saint Samson sur Rance donnent à voir un mode de représentation des sociétés néolithiques. Les éléments signes sont « une forme de communication, un système d’expression, de transmission entre des personnes » (1), support de mythes. Ils permettent de saisir les capacités conceptuelles et sociales de cette époque.

Cet article constitue le troisième volet d’une réflexion sur l’interprétation des signes gravés du menhir de Saint-Samson-sur-Rance, celui d’un chemin des morts (2a et b). Parmi les signes gravés répertoriés par les archéologues sur la pierre de Saint-Samson se trouvent ceux de la crosse ou lituus, la hache emmanchée, un aviron de gouverne, des formes quadrangulaires, des animaux domestiques (bovin, caprin) et sauvages (sanglier, cerf ou élan et cétacé) (3)

La stèle de Saint-Samson propose un agencement des symboles qui se raconte comme une histoire. Le récit débute sur la face nord de la stèle et se termine à l’Est. Il oppose la Terre, identifiable aux formes quadrangulaires de la base du menhir et le Ciel, au sommet. Les haches emmanchées délimitent un diagramme qui circonscrit l’espace sauvage des territoires appropriés, vécus par les sociétés du néolithique. Les formes des parcelles sont modifiées à la hauteur des haches emmanchées stylisées. Elles semblent indiquer un changement d’état, comme s’il s’agissait de soustraire cet espace du territoire habité.

Sur le diagramme sont disposées cinq barques. Le trajet des barques semble décrire une diagonale, un chemin qui serpente du nord au sud, de la terre au ciel, passant par la figure du cétacé, « la chose » ou constellation, sorte de chemin céleste ou chemin des morts. La première barque est située dans la partie inférieure du menhir, associée aux parcelles quadrangulaires, face Nord. La seconde sur la face Ouest est intégrée au diagramme, elle est associée à une forme quadrangulaire déformée. Dans son prolongement vers le Nord se trouve une troisième barque. Elle conduit à la suivante qui a la particularité d’être double. La double barque est associée à un point qui peut être un astre lumineux (une étoile) ou un point focal. Elle se situe au niveau de la « chose » (4), l’astre (5) ou le cétacé. Sur la face suivante Sud du menhir, se trouve dans la partie supérieure, une nouvelle barque dont le symbole de la croix, inventorié ailleurs, par les archéologues indique qu’il s’agit d’un homme. Cette barque se situe au même niveau que celle de la dernière face, côté Est. Plus grande, dans la partie supérieure du menhir, elle est une barque céleste.

Les menhirs sont des pierres longues, (en breton « maen » « pierre » et « hir » longue) dressées (« peulvan » ou « peulven ») vers le ciel. Certains des symboles du menhir de Saint-Samson ont une dimension céleste, cosmique. Comme dans l’Antiquité égyptienne, il y a 4000 ans, l’au-delà représente « le lieu traversé par l’astre solaire quand il disparaît derrière l’horizon » (6) ; Les morts se repèrent par rapport aux étoiles. Le symbole du serpentiforme que l’on a longtemps imaginé comme un culte du serpent ne traduirait-il pas alors, comme la pierre de Saint-Samson semble l’indiquer, une sorte de chemin des étoiles ou chemin des morts, exprimé de façon symbolique ? Un peu comme un panneau de circulation signalant des voies dangereuses, la symbolique du serpentiforme indiquerait une direction à suivre, soit comme un avertissement ou une rupture de seuil. Dans l’alignement de Kermario, le géant du Manio, – le menhir plus haut des files (de près de 4 mètres) – est orné à la base de cinq signes serpent, placés à la verticale avec un dépôt de cinq haches polies, disposées aussi verticalement, talon, en bas et tranchant, vers le haut (7). Ce n’est pas un hasard, non plus si le signe du serpent est gravé verticalement vers le ciel surmonté du signe de la crosse ou du lituus sur le menhir de la Bretellière. L’étude récente de publiée de Stefan Maeder dans le bulletin de la société archéologique du Finistère en 2022 suggère même que la représentation du signe du cachalot, le cétacé ou « la chose » pourrait être uns constellation, celle des étoiles les plus brillantes autour du pôle (8)

De la même façon, l’orientation des alignements à Carnac suit imparfaitement la course de la lumière d’est en ouest, comme une ondulation dans le paysage vécu et approprié par ces sociétés. Elle apparaît déjà clairement dans le relevé de 1832 de Murray Vicars, considéré comme le premier plan général des mégalithes de la région de Carnac. La trajectoire est-ouest des files de monolithes devient en effet vite « spécieuse » dès que l’on entre dans le détail des calculs astronomiques (9). Les files de menhirs épousent les formes du relief, créant des ondulations dans le paysage. Elles dévalent les pentes à travers champs, escaladent les versants et reliefs. Cette barrière minérale des alignements de menhirs offrait, sans aucun doute, une limite immédiatement perceptible dans le paysage, une rupture ontologique pour ces sociétés. C’est le cas encore aujourd’hui, entre le littoral et l’intérieur des terres à Carnac. Le concept de la « stèle seuil » partagé par certains archéologues, dont Serge Cassen souligne qu’en en deçà et au-delà des alignements de menhirs deux mondes distincts pouvaient être établis (10). Audrey Burl a proposé de voir dans certaines paires de files privilégiées des alignements des allées ou des voies processionnelles reliées aux enceintes de pierres (11).

La découverte dans ces enceintes, notamment à Er-Lannic, de « foyers, de caissons à ossements et d’une série de fragments de « coupes à socle »- brûle parfum – » peut supposer que des cérémonies rituelles s’y déroulaient (12). L’ambiance est clairement celle de « sanctuaires » (13). Ces enceintes étaient placées sur des points hauts du territoire d’où se détachaient les lignes de menhirs vers l’horizon, où l’on pouvait apercevoir le coucher du soleil sur la mer. Le tracé sinueux des alignements, moins que le dessin d’un serpent, ne traduirait-il pas, alors un chemin symbolique, une voie processionnelle, sorte de chemin des morts, où l’effacement du soleil à l’horizon permettait de se relier dans l’au-delà, perçu comme un océan primordial? Le passage était déterminé par le dessin d’un diagramme, le « templum » (« temple du ciel »), porte d’accès à l’univers, le macrocosme. Le récit de la pierre de Saint-Samson en propose le déroulé.

L’interprétation de certaines stèles assimilées traditionnellement à des idoles, sur le modèle des statues menhirs du sud de la France pourraient-elles également revêtir une toute autre signification dans le contexte atlantique ? Le symbole de l’écusson donné comme une idole a la forme du cercle de pierres de Kergognan, sur l’Île-aux-Moines. Il donne la direction à suivre. L’idole du dolmen des Pierres-Plates à Locmariaquer, repliée dans sa symétrie apparaît comme une barque céleste entourée de points lumineux figurant des astres solaires. Les vagues sont déroulées à la façon d’un oiseau. Elles ouvrent sur l’au-delà. Cette figuration est proche des barques symétriques relevées par Serge Cassen à Gavrinis. Toujours selon cette lecture, les figures traditionnellement à des seins ne seraient-elles pas aussi des soleils, le cercle en forme de torque, se référant à la voûte céleste? Cela expliquerait la présence de barques inexpliquée, à proximité. Ainsi que l’ont relevé les archéologues, « le jeu des correspondances structurales associant la hache emmanchée stylisée, une forme quadrangulaire et un croissant, celui de la barque » (14) est incontestable. Ils se réfèrent à trois dimensions : terrestre (carré), céleste (hache emmanchée stylisée) et cosmique (la barque). C’est le cas par exemple de Spézet (carré, barque et hache stylisée), le Vieux-Moulin (carré et barque), la Table des Marchands (carré, barque et double voûte), Kermaillard (carré et cercle), Portela de Mogos 25 (carré et barque), Vale Maria do Meio 18 (carré, barque). Comment lire encore la stèle de Buthiers de la Vallée aux Noirs (Seine-et-Marne) ? S’agit-il là encore de l’idole à la façon des statues anthropomorphes méditerranéennes ou d’une projection, sorte de carte pour l’au-delà, voire des deux à la fois ? Comme une mécanique des symboles, les trois symboles sont représentés, cette fois, surdimensionnés : à gauche, une immense hache stylisée, au centre, la forme quadrangulaire et à droite, la barque (15). La partie inférieure représente un menhir inversé, avec des racines qui le relie à la Terre. A l’opposé, vers le ciel siège celle qui est souvent donnée comme « un motif anthropomorphe » (16) ou une idole. Le corps de l’idole est un carré qui renvoie au territoire, sacré ou non. La tête a une forme semi-circulaire. Le dessin des yeux et de la bouche rappelle ceux des astres, la course du soleil et le torque de la voûte céleste. Une flèche au sommet du crâne de « l’idole » est tournée vers le ciel pour indiquer la direction. La « barbe » (17) a des figurés linéaires qui convergent vers la tête, à la façon des alignements attachés aux cercles de pierres. Enfin le signe plume (18) ou les cheveux de l’idole, aux formes ondulatoires sont traités à la façon de vagues. Elles ouvrent sur l’au-delà, comme un océan primordial. Confirmation du jeu de ces symboles, les gravures de la barque et de la forme quadrangulaire de Kermaillard à Sarzeau sont liées à des formes ondulatoires, à la façon des cheveux ou de lignes de stèles, au sommet du menhir.

Ainsi, les signes gravés de Locmariaquer avec le Grand menhir, ceux Mané Lud ou celle Buthiers, et un peu partout dans le contexte atlantique, parfois à plusieurs centaines de kilomètres de distance racontent la même histoire que la pierre de Saint-Samson. Cette histoire est celle que se représentent les sociétés néolithiques de l’au-delà. Une telle projection plaçait la question de la territorialisation ici-bas et dans l’au-delà au cœur les représentations des sociétés néolithiques. L’au-delà était un nouveau territoire à défricher, la hache emmanchée stylisée, son instrument de prédilection (19). L’enjeu était la fondation, voire la refondation ( les deux cercles de pierres conjoints de Er-Lannic) des territoires habités par les communautés du néolithique. Le but était d’arrimer le Ciel à la Terre, comme dans les mythes étiologiques de l’Antiquité (20).

(1) EVIN, Florence, « Les signes, support des mythes », Hors-Série Le Monde, mai 2017, p.38-39

(2a) GENDRY Mickaël, « Et si les mégalithes se racontaient ? Le menhir de Saint-Samson, « pierre de Rosette » du néolithique ? » , site ABP, publié le 2/07/23 ; lien (https://abp.bzh/et-si-les-megalithes-se-racontaient-le-menhir-de-la–58029) :

(2b) GENDRY Mickaël, « Mais à quoi servaient les haches emmanchées stylisées du néolithique ? » , site ABP, publié le 9/07/23 ; lien : (https://abp.bzh/mais-a-quoi-servaient-les-haches-emmanchees-stylise-58076)

(3) CASSEN, Serge, GRIMAUD, Valentin, « La clef de la mer. Une étude des représentations gravées sur la Pierre de Saint-Samson (Côtes-d’Armor) », Laboratoire de recherche archéologie et architectures, 2020.

(4) MASSON MOUREY Jules, « Call them  » sperm whale » ? », International Newsletter on Rock Art, n°90, 2021, p. 16-20 ; Traduction en ligne sur le site du Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique : Appelez-les « cachalot » ?

(5) MAEDER, Stefan, « La voilà qui (ne) souffle (pas) Gravures néolithiques près du Moulin de Keriolet à Beuzec-Cap-Sizun », Finistère », Société Archéologique du Finistère, t.CXLIX, 2021, p.23.

(6) VOLOUKHINE, Youri, « De la Douât à l’Hadès, comment l’Antiquité se représente-t-elle l’au-delà ? », Podcast Radio France, épisode 3/4, mai 2019.

(7) BOUJOT Christine VIGIER Emmanuelle, Carnac et ses environs. Architectures mégalithes, éd. du Patrimoine, collection : Guides archéologiques de France, p 74

(8) MAEDER, Stefan, « La voilà qui (ne) souffle (pas) Gravures néolithiques près du Moulin de Keriolet à Beuzec-Cap-Sizun », Finistère », Société Archéologique du Finistère, t.CXLIX, 2021, p.23.

(9) BAILLOUD, Gérard, BOUJOT, Christine, CASSEN, Serge, LE ROUX, Charles-Tanguy, Carnac, les premières architectures de pierres, CNRS éd., Paris, 2009, p 64.

(10) CASSEN, Serge TINEVEZ, Jean-Yves, Les mégalithes de Locmariaquer » p. 32

(11) BURL , Audrey, Guide des dolmens et menhirs bretons. Paris, éd. Errance, 1987.

(12) BAILLOUD, Gérard, BOUJOT, Christine, CASSEN, Serge, LE ROUX, Charles-Tanguy, Carnac, les premières architectures de pierres, CNRS éd., Paris, 2009, p.81.

(13) Idem

(14) CASSEN, Serge, GRIMAUD, Valentin, LESCOP, Laurent, CADWELL, Duncan, « Le rocher gravé de la Vallée aux Noirs (Buthiers, Seine-et-Marne) », Bulletin du Gersar, 2014, Art Rupestre, 65, p.36.

(15) Idem, p.27-32.

(16) Id. p.32.

(17) Id. p.31.

(18) Id. p.31

(19) GENDRY Mickaël, « Mais à quoi servaient les haches emmanchées stylisées du néolithique ? » , site ABP, publié le 9/07/23 ; lien : (https://abp.bzh/mais-a-quoi-servaient-les-haches-emmanchees-stylise-58076)

(20) GENDRY Mickaël, « Et si les mégalithes se racontaient ? Le menhir de Saint-Samson, « pierre de Rosette » du néolithique ? » , site ABP, publié le 2/07/23 ; lien (https://abp.bzh/et-si-les-megalithes-se-racontaient-le-menhir-de-la–58029) :